Être ou ne pas être Charlie, telle n’est pas la question…
Plusieurs personnes ont interpelé Coolus pour savoir ce qu’il pensait des événements actuels qui secouent la France (et le monde entier).
Pourquoi mon avis compterait-il plus que le tien ?
Enfin bon, on me demande, j’y vais.
Voici ce que j’en pense aujourd’hui, en tant que dessinateur-Coolus, en tant qu’être humain, et en tant que prêtre aussi.
La vie est sacrée
Personne n’a droit de vie ou de mort sur personne, quoi qu’on ait pu dire ou faire.
Une personne ne vaut-elle pas plus qu’une chose ?
Une vie ne pèse t-elle pas plus qu’un stylo ?
Peut-on enlever une vie, deux vies, dix, vingt, à cause d’une chose ? d’une idée ?
Peut-on supprimer une vie de la planète parce qu’elle ne pense pas comme moi ?
Non, Non, Non !
Et si tu le penses, qui es-tu pour le penser ? Es-tu Dieu ?
la liberté d’expression.
Je ne compte pas parmi les lecteurs assidus de Charlie Hebdo, au contraire.
Je n’aime pas du tout le cynisme utilisé. Il peut être blessant.
Et je comprends qu’on puisse réagir fortement lorsqu’on est blessé…
MAIS je n’approuve pas la violence.
Peut-on TOUT dire ?
Je n’ai pas la réponse à cette question.
D’emblée, je dirais comme Saint Paul « tout est permis, mais tout n’est pas profitable. Tout est permis, mais tout n’édifie pas »
Si j’ai la possibilité de tout dire, c’est à moi de choisir ce qui va édifier.
Et j'ai la même possibilité au niveau du "faire". Je fais ce que je veux, mais tout n'est pas top...
Tout dire ?
Déjà, il y a la sphère du public et du privé.
La liberté d’expression justifie t-elle de tout rendre public ?
Je réfléchirais plus à la question. « COMMENT peut-on tout dire ? A la « manière » de le dire. En gros, c’est simple. Soit je pars de moi, soit je pars de l’autre.
Si je pars de moi, peu m’importe la réaction de l’autre.
Je dessine ce que JE veux. L’autre s’en prend plein la figure mais ce n’est plus mon problème.
Si je pars de l’autre, j’essaye d’abord de le connaître, le comprendre, lui et ses codes.
Je m’adapte pour lui faire passer un message qu’il sera susceptible d’entendre. N’est-ce pas ce que font les hommes d’état, lors d’une visite dans un autre pays ? Ne s’adaptent-ils pas à la culture ? N’utilisent-ils pas les codes dans leur posture, leur cadeau, la couleur de leur habillement ?
Essayez donc d’embrasser un responsable asiatique en visite protocolaire… Ce n’est pas son code.
Un dessin peut être une arme.
En tant que dessinateur, je cherche à faire réfléchir. Un dessin est une manière assez puissante pour le faire ; ça attire l’œil, ça suscite souvent une émotion et ça reste dans la mémoire. Quand je cherche à faire réfléchir, c’est toujours avec le respect dû à la personne. J’ai quelques fois des trouvailles assez géniales (si si, je suis super modeste !) que je ne pose pas sur papier car l’humour, s’il plaît à 90 personnes, pourrait en blesser 10.
Dire tout, affaire à creuser, tant qu’il y a un respect de la personne. Voilà ma règle de dessinateur.
Pouvons-nous comprendre que si tout peut se dire, tout n’est pas bon à dire ?
J’ai fait un dessin pour la revue « Initiales » que je livre ici.
Les amalgames du « religieux »
Dans cette affaire, je n’aime pas le fait qu’on fasse un amalgame des religions, ni des croyants dans une même religion.
Dans chaque religion (comme dans la politique, d’ailleurs) il y a, hélas, des extrémistes. Les extrémistes ne jugent-ils pas facilement de tout, pensant qu’ils ont la vérité ?
Un bon sujet de bac serait : « Les extrémistes savent-ils se remettre en question ? »
Si vous ne savez pas vous remettre en question, n’êtes-vous pas extrémiste ?
Hé oui, les extrémistes, les idéologues, ne sont pas toujours les autres…
réfléchissez à ceci : « Dans quel domaine suis-je un extrémiste ? »
Même si c’est plus facile de mettre tout le monde dans un même sac (parce que finalement, ça pourrait nous arranger), réfléchissons à « comment me situerais-je si un membre de ma famille se mettait à tuer 3-4 personnes au nom de ses idéaux, et qu’autour de moi, on me cataloguerait comme membre de cette famille, donc « assimilé », « impliqué », « dangereux », ou que sais-je ?…
Les médias.
Pour finir, je désapprouve le voyeurisme exacerbé des médias qui bombardent d’informations 24h sur 24, à qui aura le scoop le meilleur, la primeur de telle publication, et surtout, la diffusion de vidéos la plus sensationnelle ; allant jusqu’à montrer la mort en direct.
Non, quoi !
C'est pas humain, votre affaire.
Allons ! Franchement, messieurs les journalistes, si c’était votre fils, votre femme, votre fille qu’on abattait à bout portant, le diffuseriez-vous sur la toile ? Pourquoi le faites-vous avec les autres ?
Que cultivez-vous chez les internautes ?
Pourquoi le faites-vous ? Que cherchez-vous ?
Une fois que la vidéo est diffusée, y a t-il moyen de l'enlever définitivement du net ? Pas vraiment, elle sera enregistrée et utilisée par un autre qui la rediffusera s'il le veut.
Avez-vous même réfléchi aux conséquences, pour la famille, les enfants ?
Etre ou ne pas être Charlie ?
Je finis avec ceci.
J’ai reçu des sms, mails, etc, demandant de faire circuler un « Je suis Charlie ».
Avant de foncer, je réfléchis.
Que veut dire ce slogan ?
Pas facile. Posez la question à 5 personnes, vous risquez d'avoir des interprétations différentes.
C’est difficile pour moi de suivre ce genre de choses de type binaire. En gros, ou bien tu dis « je suis Charlie » et tu es solidaire de la France, ou bien tu ne le fais pas et tu es considéré comme pas solidaire, donc pas sympa, pas citoyen, limite méchant, quoi.
Je pose la question autrement ; ai-je le droit d’être solidaire (ai-je la liberté d’expression qu’est la mienne) en ne rentrant pas dans un truc tout fait ?
Ai-je la possibilité de dire avec mes mots ce en quoi je crois ou suis-je déjà jugé selon si je mets ou non « Je suis Charlie » sur mon mur, ma voiture, mes chaussettes ou sur la porte de mon église ?
Bon. Voilà, j’ai parlé.
Parlé parce qu’on me l’a demandé.
Parlé en partant de moi, en dessinant, en ayant lu des articles, dialogué avec d’autres…
Je donne beaucoup plus de questions que de réponses. Si chacun se saisit des questions qui le concernent en vue de faire avancer la paix, la liberté, le Royaume de Dieu, sans doute ces choses ne seront pas arrivées pour rien.
Ma prière et mon affection vont à toutes les victimes, aux amis dessinateurs, à touts ceux que cela affecte, et également aux amis prêtres qui vont avoir un rôle difficle en célébrant d'éventuelles obsèques.
Ma prière et mon affection vont à ceux qui sont proches des victimes et qui ne s'en remettront peut-être jamais.
Je remercie également les forces de l'ordre pour leur service si difficile en dépit de si peu de reconnaissance qu'on leur adresse pour cela.
Et une pensée pour notre frère concierge dont pas grand monde parle.
Coolus